Care is not benevolence

Publié le 11 Juillet 2016

Ce qui se conçoit bien en anglais s'énonce mal en français et les mots pour le dire viennent difficilement

Care is not benevolence

La bienveillance est étymologiquement "le vouloir du bien". Le principe d'aimer son prochain est présent dans toutes les religions, enfin celles qui ont largement diffusé leurs préceptes. Les philosophes ont développé cette théorie. Kant pour n'en citer qu'un, utilise la notion de bienveillance active qui apporte le contentement par le bien être des autres. Néanmoins il indique aussi que l'intentionnalité du bien être est universelle en ce sens qu'elle s'applique à tous les autres, mais que son action est variable selon les liens avec l'autre. La bienveillance apparaît donc pour les philosophes et penseurs, religieux ou non un élément essentiel de la relation humaine. Cette finalité de bien être sous-tend aussi la conception aristotélicienne de l'éthique. Aristote définit une éthique dont la finalité est une vie meilleure. Plus proche de nous, Paul Ricoeur lui, précise que l'éthique est la visée d'une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes. Ces notions sont très proches de celle de bienveillance. La bienveillance pourrait donc être considérée comme indispensable à la relation, éthique et universelle.

Care is not benevolence

Cette universalité n'empêche pas des questions sur le sens de la bienveillance.

On peut s'interroger sur la notion de bien. Le sens peut en être le bien être, mais aussi le bien, valeur morale. Dans cette hypothèse il faudrait préciser si il s'agit de la valeur morale de la société, de celle de l'autre, ou de la notre.

Le vouloir amène aussi à s'interroger sur les limites de la bienveillance. Vouloir du bien semble une posture humaniste à condition de respecter le libre choix de l'autre. Vouloir le bien de l'autre contre sa volonté et ses choix réduit la bienveillance au béhaviorisme voire à l'autoritarisme.

Outre ces interrogations sémantiques, la nature de la relation de soins réduit la portée de la notion de bienveillance réciproque. On peut arguer que s'établit entre un patient et son soignant une relation sur la base d'une bienveillance réciproque. Néanmoins la relation de soins est asymétrique. Elle associe deux humains qui ne sont pas en position d'égalité. L'un le patient a une souffrance, une demande, l'autre le soignant a un savoir, de possibles réponses. L' asymétrique de la relation entre un patient et un soignant peut être précisée à l'aide de la pyramide de Maslow.

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La pyramide de Maslow décrit différents niveaux d'accomplissement d'un individu. Comme toute théorie elle est réductrice, d'autant plus d'ailleurs qu'elle est trop souvent considérée comme synthétique de la pensée de Maslow, alors qu'elle n'en ai qu'une représentation . Maslow décrit plusieurs niveau d'accomplissement de l'humain.

Le premier est celui des besoins physiologiques ( manger, boire, dormir se reproduire)

Le deuxième celui des besoins de sécurité ( maison, sécurité financière)

Le troisième est social ( appartenance à un groupe)

Le quatrième est l'estime ( reconnaissance des autres, confiance en soi)

Le cinquième est l'accomplissement personnel

Contrairement à une interprétation trop souvent véhiculée, il ne s'agit pas pour Maslow de l'ascension des degrés par l'individu. Maslow utilise sa théorie pour expliquer les interventions possibles. Il est illusoire d'intervenir sur un niveau si l'accomplissement des niveaux antérieurs ( et pas inférieurs) n'est pas atteint. Par exemple l'appartenance à un groupe social est impossible pour un individu qui n'a pas la sécurité. La théorie de Maslow est certes indicative d'une perception libérale de la société,des notions similaires conduisent à d'autres interprétations chez Locke ou Rousseau. Mais elle a le mérite de schématiser l'asymétrie de la relation.

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Le soigné recherche dans sa relation avec le soignant des besoins physiologiques, et de sécurité( la maladie réduit la capacité à assurer la sécurité) , parfois aussi d'intégration sociale ( la maladie réduit la socialisation). Le soignant lui recherche la sécurité ( il est payé pour ses soins) mais aussi l'accomplissement social ( l'appartenance à un groupe de professionnels), et souvent l'estime des autres, et l'accomplissement personnel. L'asymétrie de la relation soignant soigné amène à revoir sous un autre angle la bienveillance du patient. On s'attend légitimement à la bienveillance du soignant. Mais cette bienveillance, dans son acceptation habituelle, ne peut s'appliquer au patient dans la relation qui l'unit à son soignant. En se limitant à l'acceptation de la bienveillance comme le souhait du bien pour autrui, le patient n' a aucune raison d'être bienveillant. On s'attend à ce qu'il ne soit pas malveillant qu'il ne recherche pas à nuire au soignant, mais pas à ce qu'il soit bienveillant.

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La singularité de la relation qui se construit entre un soignant qui a le savoir de soulager et un patient qui souffre a conduit certains à proposer un autre abord, la neutralité bienveillante. Les premiers ont été les psychanalystes, Freud en tête (bien qu'il n'ait pas utilisé ce terme) . Rogers et Balint, tous deux psychologues ont aussi précisé les notions d'empathie, d'écoute active, de neutralité bienveillante. Les évolutions successives du serment d'Hippocrate conduise le "médecin idéal" d'une bienveillance paternaliste à une neutralité bienveillante. Mais qu'est donc la neutralité bienveillante?

Care is not benevolence

Le préalable reste la non malveillance synthétisée par la formule primum non nocere (d'abord ne pas nuire). La neutralité bienveillante est définie, entre autre par l'absence de jugement du soignant. Elle permet de construire la relation sur la base d'une approche centrée patient, non directive, empathique. L'empathie peut être définie comme la capacité à comprendre les émotions de l'autre. Elle se différencie de la sympathie qui partage les émotions de l'autre. L'apathie elle ignore les émotions de l'autre et l'antipathie les dénie ou les méprise. Je laisse les lecteurs de ce billet se rapporter aux ouvrages de Carl Rogers et Michael Balint pour plus de précisions. La non directivité est non seulement le respect des choix du patient, mais aussi de son discours. Autrement dit ne pas couper la parole du patient, le laisser s'exprimer, orienter par des questions ouvertes mais ne pas limiter par des questions fermées.

La relation soignant/soigné repose sur l'absence de jugement, le respect des choix, l'écoute. Elle a un cadre, celui du soin. Elle n'a pas de raison d'être en dehors d'une relation de soin qui ne peut s'établir sans elle. Adopter un attitude empathique avec ses proches est inadapté, si ils sont proches c'est la sympathie qui prédomine. A l'encontre le soigné ne recherche pas chez le professionnel soignant la sympathie, mais l'aide qui implique une relation empathique. La neutralité bienveillante permet l'établissement d'une relation soignant /soigné avec comme finalité le mieux être du patient. Elle n'en favorise pas moins l'accomplissement du soignant mais reste centrée sur le patient et son bien être.

Care is not benevolence

Contrairement à ce beaucoup énoncent l'empathie pas plus que la non directivité ne sont innées. Ce sont des compétences qui se développent par la formation. Bien sur les capacités personnelles peuvent en favoriser l'apprentissage, mais elles sont insuffisantes isolément .
L'établissement d'une relation soignant / soigné repose sur les compétences relationnelles du soignant, mais aussi sur sa capacité à communiquer. On confond trop souvent la relation et la communication. Si l'une est nécessaire à l'autre, elle ne s'y substitue pas. La communication permet de formuler un message à l'autre ( ou aux autres) avec une probabilité d'efficacité, elle ne préjuge en rien de la nature du message. Les méthodes de communication utilisées dans l'entretien motivationnel sont les mêmes que celles développées dans les techniques de vente.
Ces compétences de relation et de communication se développent comme toutes compétences sur la base de capacités personnelles, de savoirs théoriques, de mise en pratique et d'expérience professionnelle. La grande problématique tient à l'absence de formation à la relation ou la communication dans les études médicales qui laissent les capacités personnelles et l'expérience former des compétences de relation et communication trop souvent inadaptées à la relation soignant /soigné.
Les prédispositions à une neutralité bienveillante ne doivent pas être confondues avec les compétences à la mettre en oeuvre. La non malveillance, l'altruisme, la bienveillance quel que soit le terme adopté sont des prédispositions liées à l'individu, son histoire, ses croyances, ses convictions. La neutralité bienveillante est une compétence du soignant indispensable à l'établissement d'une relation de soin qui n'est ni transposable hors de cette relation ni réciproque pour le patient. La singularité de la relation de soins impose une posture spécifique qui est une compétence du soignant, non par dogmatisme, ou par philosophie, mais par professionnalisme et pragmatisme. Le patient ne recherche ni la sympathie, ni la commisération, il attend et espère le soulagement. Le professionnel ne peut qu'être empathique et non directif pour répondre à cette attente.
A vos commentaires bienveillants bien sur

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Rédigé par Dr niide

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Commenter cet article
M
Tu as lu les livres de Frans de Waal ? L'empathie existe chez beaucoup d'animaux non-humains. Ce qui suggère que c'est bien quelque chose d'inné, qui peut sans doute se développer ou s'inhiber, comme beaucoup d'émotions, mais qui n'est pas "appris". C'est ce que pensent la plupart des éthologistes, zoologistes et primatologistes, au vu de toutes les observations qu'ils ont faites dans le monde animal...
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D
Je ne connais pas Frans de Waal ça tombe bien je cherche des lectures de vacances merci pour ce bon conseil de lecture . Les primates ont cependant une organisation sociale n'est elle pas la source de cette empathie? Je lis le livre et je réponds ensuite
C
excellent article, ou vous mettez en lumière un point fondamental du soin et surtout la nécessité de cultiver et diffuser cette neutralité bienveillante. merci.
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D
Merci