Une autre vision
Publié le 27 Décembre 2014
Il n'est point de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage (Périclès)
Je ne pensais pas revenir sur la grève des médecins généralistes déjà évoquée dans un précédent post. Des échanges sur twitter, limités par les 140 caractères, avec des médecins dont je partage souvent les idées me conduisent à ce billet pour préciser ma pensée et pour mieux comprendre nos incompréhensions.
.Tout d'abord je déclare mes conflits d'intérêts
Je suis critique d’un système libéral qui s’impose aux médecins généralistes. J’ai choisi d’être médecin généraliste après avoir gouté à la médecine hospitalière, mais je subis l’exercice libéral contraire à mes aspirations. Je pratique depuis des années la dispense d’avance de frais sur la part obligatoire et pour certaines mutuelles sur la part complémentaire. Je n’ai pas de conflits d’intérêt financiers en rapport avec le tiers payant généralisé, mais comme l’a souligné Dominique Dupagne sur son blog les conflits d’intérêts intellectuels sont au moins aussi prégnants que les conflits financiers.
Le tiers payant généralisé est un outil de d’équité sociale.
Des patients renoncent aux soins par incapacité à avancer les frais. Cette réalité est inquiétante. Bien sur ces renoncements sont plus fréquents pour des dépenses importantes. Les situations de soins dentaires et d’optique sont spécifiques par le reste à charge important, avec ou sans avance de frais. L’application d’une dispense d’avance de frais intégrale favoriserait partiellement l’accès aux soins uniquement pour les 95% de patients ayant une complémentaire santé. Pour les autres, les plus précaires, qui n’ont pas de complémentaire santé, la mesure ne modifierait évidemment pas les obstacles financiers, la dispense d’avance de frais sur la part obligatoire laissant un reste à charge de 7.90€ (6.90€ de part complémentaire, et 1 € de franchise). Néanmoins favoriser l’accès aux soins ne serait ce que de quelques uns reste une mesure d’équité sociale d’ailleurs bien comprise par de nombreux médecins généralistes qui diffèrent l’encaissement des chèques après le remboursement des frais à leurs patients les plus précaires.
Le tiers payant généralisé modifie la relation client /médecin
Le paiement à l’acte sans avance de frais, a créé un système consumériste. Ce n’est pas une simple figure de style. On parle de consommation de soins comme de consommation de nourriture, de loisirs ou de services, en oubliant un peu vite que le payeur est la société par l’intermédiaire de la sécurité sociale et des complémentaires santé, mutualistes pour un grand nombre. Il instaure une relation client/prestataire, et parfois client/serveur entre la patient et son médecin. La dispense d’avance de frais replace la relation dans le champ du soin et de l’accompagnement et rend aux régimes obligatoires et complémentaires leur rôle de payeur sans l’intermédiaire du soignant. Elle permet aussi de supprimer les dépassements d’honoraires, inéquitables
Le tiers payant est-il chronophage ?
Indéniablement il crée une charge de travail de pointage des paiements. Ce que ne disent pas ses détracteurs c’est qu’elle substitue partiellement au moins à celle des bordereaux de dépôts bancaires pour les actes réglés directement au soignant. La charge de travail est diversement évaluée, certains parlent de mi-temps dédiés. Regardons les faits. Les médecins généralistes sont pratiquement les seuls soignants à ne pas pratiquer de dispense d’avance de frais intégrale. On peut arguer que les pharmaciens, les autres spécialistes, en particulier ceux avec plateau technique, ont des salariés dédiés à ce paiement différé. Mais les infirmier(e)s, les kinésithérapeutes, les orthophonistes pratiquent aussi la dispense d’avance de frais intégrale, et sans secrétariat dédié à cette tâche. Il faut néanmoins préciser que pour certains de ces soignants les actes sont multiples pour un même assuré (les séances de rééducation par exemple) ce qui en limite les contraintes administratives, réalisées une seule fois pour plusieurs actes.
Le tiers payant est-il source de perte de revenus ?
Des chiffres circulent sur le coût de gestion estimé des dispenses d’avance de frais intégrales Des valeurs de 1 à 7.8€ par acte sont avancés Il n’est pas inutile de s’appesantir sur ces chiffres. Les deux études citées ont été menées auprès de centres de santé d’Ile de France, et non chez des professionnels libéraux. Les impayés représentaient 2% des actes en TPG et 1% des actes réglés par les patients. Ces centres de santé, hétérogènes par leur activité de soins, incluant ou non des imageries, des soins dentaires, de la biologie, employaient en moyenne 0.7 personnel administratif par médecin. Nous sommes très loin de l’activité des cabinets de médecins généralistes. Des données issues d’une activité libérale seraient nécessaires pour argumenter la perte de revenus supposée
Le tiers payant est compliqué à mettre en œuvre
Pour ceux qui le pratiquent c’est partiellement vrai. La difficulté tient beaucoup en fait aux logiciels inadaptés à la transmission en flux séparé de la part complémentaire et de la part obligatoire. Autant la réalisation d’un tiers payant pour la part obligatoire est simple et transparente, autant celle des dispenses d’avance de frais de la part complémentaire est compliquée et absconse. Le paramétrage des paramètres propres à chaque mutuelle peut être un parcours du combattant, même avec les tutoriels du logiciel. Néanmoins une fois réalisée cette étape initiale, les opérations suivantes sont plus fluides. Un autre frein au tiers payant généralisé est la posture actuelle de certaines mutuelles qui freinent cette pratique, voir pour certaines la refusent aux médecins généralistes. Mais cette attitude devrait disparaître avec la généralisation du tiers payant.
Le tiers payant généralisé nuit à l’indépendance des médecins.
Les défenseurs du tiers payant qui soulignent l’absence de fait tangible appuyant cette hypothèse sont considérés comme des naïfs par les détracteurs de la mesure. L’un des arguments de ces derniers est la comparaison avec la ROSP Rémunération sur Objectifs de Santé Publique et ses critères. Attardons nous sur la ROSP. Une revue de littérature met en évidence l’absence d’effet du paiement à la performance sur les pratiques des médecins, ce qui pose d’ailleurs la question de son intérêt, que j’aborderai peut être dans un autre billet. Pour la ROSP les critiques portent sur les critères choisis, discutables pour certains voir même obsolètes pour d’autres. Tous les critères de pratique de la ROSP sont définis sur la base de recommandations, que ce soit la cible d’HbA1c, la mammographie de dépistage, la vaccination saisonnière contre la grippe pour ne citer que les plus discutables. Les critiques doivent porter sur certaines recommandations, mais pas sur leur utilisation logique par les UNOCAM. Ces critères ne s’imposent pas aux médecins, il n’y a pas de sanctions en cas de non respect, mais une rémunération en cas d’atteinte d’objectifs, c’est la carotte sans le bâton. Les autres éléments étayant la crainte d’une dépendance future des médecins sont des transpositions des attitudes de certaines CPAM, en particulier les « délits statistiques ». Ce n’est évidemment pas le tiers payant généralisé qui induit cette posture de certaines CPAM, qui existe actuellement et dont les conséquences ne sont pas des refus de remboursement mais des sanctions financières, voir des déconventionnements.
Mais qu’en est-il des applications du tiers payant généralisé ailleurs.
Dans les pays européens qui ont adopté un paiement à l’acte partiel ou non l’avance de frais est rare. On pourrait arguer que les médecins y sont dépendants des organismes les rémunérant. La véritable question est plutôt de savoir si dans les pays européens les soins octroyés aux patients sont équivalents selon qu’ils avancent ou non les frais de l’acte. Ni la mortalité, ni la morbidité, ni la qualité de vie, ni les coûts de santé ne sont influencés par la mise en œuvre de dispense d’avance de frais.
Le tiers payant généralisé est source de surconsommation médicale
Les chiffres infirment cet argument. Le recours aux soins n’est pas plus important pour les allocataires de la CMU, population pourtant précaire et donc plus à risque de pathologies cardiovasculaires, métaboliques, psychiatriques.
Un autre argument de surconsommation est celui de maximisation des actes par les médecins. L’avance de frais pourrait freiner la comptabilisation de tous les actes réalisés par le médecin, par exemple en cas de consultation pour plusieurs membres d’une même famille. Cet argument incite au contraire à mette en œuvre la dispense intégrale d’avance de frais. En effet soit l’acte est « fictif » et rien ne justifie sa comptabilisation, soit il est réel. Dans ce cas, l’avance de frais est un frein à la rémunération légitime du médecin. Elle témoigne aussi de l’incongruité du paiement inclus à la consultation qui devient un élément perturbateur des soins.
Tous ces éléments sont théoriques.
Dans ma pratique, le tiers payant généralisé est source de simplification, de relation recentrée sur le patient. Lors de sa mise en œuvre, j’ai procédé à un pointage minutieux, vite abandonné en raison d’un nombre limité d’impayés. Il faut préciser que mes actes s’adressent pour l’immense majorité à des patients connus et suivis au sein de la MSP ce qui réduit les contraintes de mise en œuvre du TPG.
Pour conclure
Aucun élément n’accrédite le coût de gestion des tiers payant, ni la dépendance annoncée des soignants aux organismes sociaux même si persistent des incertitudes. Les difficultés de mise en œuvre sont réelles mais des solutions techniques sont possibles. La surconsommation prévue tient du fantasme. Par contre je vais donner pour une fois raison à l’UFML. La généralisation du tiers payant n’est peut être pas une mesure dogmatique mais elle certainement une mesure avant tout politique, permettant l’émergence d’une médecine générale qui n’est plus limité à son mode d’exercice libérale, mais à ses spécificités.
La décision nait de la confrontation des données. Quelques données et avis supplémentaires
De la médecine générale seulement de la médecine générale
Des documents utiles
Comparaison des systèmes sociaux européens
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