Liberté individuelle et responsabilité collective

Publié le 16 Novembre 2014

Liberté individuelle et responsabilité collective
"Les villes devraient être bâties à la campagne, l'air y est tellement plus pur" H Monnier*

* Non ce n'est pas une citation d'Alphonse Allais

Je suis un urbain, pur produit des trente glorieuses Je suis né et j’ai passé mon enfance, et ma jeunesse dans une grande ville. Le quartier Haussmannien dans lequel je vivais était bourgeois. La proximité du centre ville ne nécessitait ni bus, ni tramway, ni métro, ni voiture, ni même vélo. La trentaine de famille habitant dans le pâté de maison était toutes des CSP+, un ou deux commerçants prospères, des cadres supérieurs, un pharmacien, et surtout une majorité de médecins. En limitant aux 5 maisons immédiatement limitrophes ou de l’autre côté de la rue, 4 étaient des médecins. Mes grands parents, modestes, vivaient en ville tout comme l’avait fait leurs parents. La ruralité était pour moi synonyme de vacances et de production alimentaire ; les villes de moins de 40 000 habitants avec leurs 3 rues commerçantes, d’isolement et d’ennui.

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Bien sur cette perception des choses a évolué avec l’âge et les rencontres, mais je reste marqué par une urbanité forte. Je suis plus proche de Bénabar que de Jean Ferrat, sans pour autant préférer l'une à l'autre.

Je me suis installé en périphérie d’une ville au sein d’une agglomération de 120 000 habitants, proche d’un quartier avec une population en précarité. Je suis maintenant un rurbain, j’habite dans un petit village mais à 10 minutes de mon cabinet, de la ville et d’un centre commercial. Je reste marqué par ma jeunesse urbaine.

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Je me souviens d’une formation dans un très joli village, au sein d’une zone rurale très cliché, arbres en automne, animaux domestiques, céréales moissonnées, paille en rouleau dans les champs. Arrivé en avance j’ai vu sur la route la carotte qui éveille les envies des tabagiques. Je me suis arrêté pour faire le plein de poison pour le week-end. L’accueil était chaleureux, amenant à l’échange, sans cliché cette fois, dans un commerce vendant des cigarettes, des journaux, mais aussi du pain, des conserves, de la droguerie, et même de la charcuterie. Le lendemain pendant la formation, j’écoutais lors des pauses les participants échanger sur leurs difficultés à trouver des successeurs ou simplement des médecins qui s’installeraient pour pallier au manque annoncé. L’image de ce commerce, le seul restant à 10 km me hantait. Quand mon avis fut sollicité que dire ? Que pour rien au monde je ne vivrais dans un pareil trou ? C’était faire preuve d’antipathie stérile. Que je comprenais leurs difficultés et leurs préoccupations mais que je ne pouvais pas changer l’évolution de la société ? C’est un peu ce que j’ai dit.

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Cette histoire est restée et reste dans mon esprit. Une autre fois, dans une autre région, je discutais avec un médecin rural qui lui aussi se plaignait de la désaffection des jeunes médecins. Il m’expliquait les avantages tant professionnels de diversité de situations que personnelles de satisfaction que lui apportait son exercice. Je l’écoutais plus que poliment, avec intérêt pour une réalité que je ne connaissais pas. L’arrivée d’un confrère voisin d’installation c'est-à-dire à 6 km (à 6 km autour de mon cabinet il y a 80 000 ha et 60 médecins généralistes !!!) a fait glisser la conversation sur la vie personnelle. Les nouvelles de la famille, le prochain repas ensemble, le ramassage des champignons prévu pour bientôt en famille, et le brusque retour à la réalité, loin de la vision bucolique, quand mon interlocuteur demande des nouvelles de la plus grande de son confrère au lycée en pensionnat (EN PENSIONNAT !!!!). La solution avait été choisie d’un commun accord pour limiter les 3 heures de transport quotidienne en bus. Naïf je demande des précisions sur ce commun accord. L’explication tient aux durées de trajets jusqu’au lieu de scolarisation des 2 enfants, l’une au lycée(EN PENSIONNAT !!!!), l’autre au collège plus proche mais dans une direction opposée. Impossible de conduire les 2 à temps le matin pour l’épouse qui travaille, impossible aussi pour le médecin qui débute tôt son activité (7 heures). Je commence aussi à 7 heures le matin par des visites programmées la veille qui me laissait le temps de repasser chez moi pour déposer mon fils au collège quand les horaires de travail de ma femme ne le lui permettaient pas. Le petit commerce qui vendait de tout ressurgit à ce moment dans mon esprit.

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En rentrant j’ai fait une recherche sur les zones sous dotées de ma région. Pour chacune d’elle j’ai recueilli des informations dans la presse locale et les sites des mairies. Les zones rurales sont en souffrance, les habitants déménagent, les nouveaux habitants sont attirés par le prix modique de l’immobilier mais travaillent dans une ville, les commerces privés de clients ferment, les administrations se regroupent d’abord en un seul lieu, puis dans un village plus central, toujours en un seul lieu. Ce ne sont pas des déserts médicaux mais des déserts tout court .Bon j’exagère un peu, mais si peu. J’ai trouvé des informations précises sur le village et son commerce unique. La population a diminué de moitié en 100 ans. Dans le même temps celle de la ville où je travaille a doublé celle de la métropole régionale a quintuplé. Entre 1950 et 1960, dates de naissance de la majorité des médecins en exercice 40 % à 45 % de la population était rurale. Entre 1985 et 1995 dates de naissance des médecins à venir, 25 % de la population était rurale.

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L’installation en secteur rural impose un mode de vie spécifique, que connaissent de moins en moins de futurs médecins dont le recrutement par le concours de PACES favorise la sélection d’urbains, issus de familles favorisées. Ces jeunes médecins boudent la médecine générale, craignent l’exercice libéral, connaissent mal ou peu la ruralité, autrement que par ses clichés. La société a heureusement évolué. Les femmes ont un travail. Les tâches domestiques sont partagées (enfin un peu). Les hommes participent à l’éducation des enfants (enfin de loin) . Le modèle du médecin dévoué, disponible dont la femme élève les enfants, effectue les tâches domestiques et participe à la gestion du cabinet est révolu. Au manque d’attractivité des zones rurales, s’ajoute le besoin nécessaire d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

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Pour autant une réponse doit être apportée à la demande légitime d’accès aux soins. Les Québéquois confrontés à une désertification des zones boréales, ont compris la nécessité d’une offre globale pour y attirer des médecins généralistes. Aux restrictions à l’installation, ils ont adjoint des incitations financières dont la plus visible est la cotation des actes en fonction de l’éloignement. Ce système induit un premier exercice quasi systématique en zone sous dotée pendant 3 ans avant une réelle liberté d’installation. Pour inciter les médecins à rester dans ces zones, d’autres mesures ont été imaginées, en particulier l’offre d’emploi pour le conjoint. Le système fonctionne, mais n’est pas parfait, les médecins s’acquittent de leurs obligations d’éloignement puis s’installent en zone urbaine secondairement. Il permet néanmoins de pallier à une répartition inégale de l’offre de soins.

Ce système n’est pas directement transposable, il repose sur une organisation différente du système de soins. Les médecins québéquois sont majoritairement installés en groupe, les zones éloignées ont structuré des dispensaires regroupant plusieurs professions de soins. Les facultés de médecine ont créé des unités décentralisées de formation. Néanmoins la philosophie de cette structuration peut servir de base de réflexion.

La liberté de se déplacer est inscrite dans notre constitution, l’accès aux soins pour tous aussi. Des mesures uniquement coercitives sont inconcevables, et inefficaces. Les mesures d’incitation donnent souvent lieu à des choix d’opportunité. Par ailleurs aucune incitation ne peut se substituer à un choix de vie urbaine plutôt que rurale. La désertification de certaines zones n’est cependant pas acceptable. Face à ce qui peut apparaître comme la quadrature du cercle, une réflexion est indispensable

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Des pistes existent. Le regroupement des professionnels, en Maison de Soins Pluriprofessionnels ou autres structures en est une mais surement pas une réponse universelle. Le salariat pourrait en être une autre, mais qui a aussi ses limites. Le mi temps en est une autre. Le lieu de travail peut être distinct du lieu de vie. Un temps de transports de 45 mn peut sembler dissuasif, pourtant les urbains résidant en périphérie et travaillant en ville l’effectuent quotidiennement. Un poste de travail à proximité pour le conjoint, voire le développement de télétravail quand il est possible sont aussi envisageables. Des structures universitaires décentrées favoriseraient la formation sur place des futurs soignants. La diminution du nombre de postes hospitaliers offerts induirait une réorientation vers les soins ambulatoires. Je ne prétends pas disposer de toutes les solutions elles sont à rechercher ensemble.

. Pour être productive la réflexion doit inclure la population, les soignants, les élus, les tutelles. Comme toute négociation elle donnera lieu à des renoncements. Le médecin disponible en permanence appartient au passé, les usagers doivent l’accepter. La liberté d’installation a des limites, les soignants doivent s’en accommoder. Le financement des études (le coût de la formation d’un médecin est de 150 000€), et le conventionnement ne permettent pas de tout imposer, les tutelles doivent le comprendre. Il est temps de discuter sans dogmatisme ni utopisme, sans corporatisme ni égoïsme, sur la base de propositions constructives, sans anathème.

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Rédigé par Dr niide

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D
Des mots snas prétention pour débattre .
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C
Des mots creux, encore et toujours... Hélas !
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