La Proie pour l'ombre

Publié le 3 Novembre 2014

La Proie pour l'ombre
"innover ce n'est pas avoir une nouvelle idée mais d'arrêter d'avoir une vieille idée" E H Land

Je suis assez vieux pour avoir fait mes études sans internet. Je me souviens de ma compulsion à accumuler des documents sur mes questions de cours, rangés dans des chemises cartonnées et comportant chaque fois un article de synthèse et des articles détaillés. La Revue du Praticien monographie, les Cahiers Médicaux Lyonnais étaient mes sources bibliographiques. Étudiant inséré dans le savoir universitaire je ne lisais pas Prescrire qui débutait, et encore moins d’articles princeps. Lors de mon résidanat, les extraits et copies d’articles accumulés, les livres achetés ne suffisaient plus. Les bibliothèques des services hospitaliers m’ouvrirent un accès à des revues publiant des articles princeps. La participation à des revues de bibliographies a créé le besoin d’une formation en lecture critique. La découverte de Prescrire a renforcé ce besoin.

J’avais dans le même temps découvert le Commodore 64 que la nostalgie fait paraître comme un fabuleux outil. Je l’utilisais comme un enfant qui démonte un jouet pour comprendre son fonctionnement. Mon intérêt pour l’informatique était né. C’est la découverte de Windows 3 qui a déclenché ma passion. Je continuais à démonter, mais cette fois pour améliorer, upgrader. J’utilisais aussi les fabuleuses possibilités de l’informatique pour organiser, créer, écrire et aussi (surtout ?) jouer. La découverte d’internet balbutiant lors de mon installation a été un éblouissement. Mon goût pour l’informatique et mon besoin de données se sont rencontrés avec internet.

La Proie pour l'ombre

A distance des ces histoires de vieux combattant (pas encore sénile cependant), je dépends maintenant de l’informatique, pour rédiger, calculer, m’informer, organiser, me distraire. J’ai jeté mes documents ANDEM, ANAES, HAS, AFFSAPS, INVS, etc. J’ai donné à des internes 250 numéros de Prescrire conservés. J’ai gardé les livres, incapable de m’en séparer. Ils ont rejoints mon accumulation compulsive. Je lis moins de journaux papier. Je regarde mes séries préférées en streaming. Ce blog me donne l’occasion de diffuser des idées que j’ai la prétention de croire intéressantes.

Le choix pédagogique pour le DES de médecine générale est l’apprentissage. Ce choix n’est pas dogmatique mais pragmatique. La finalité du DES est de former des professionnels capables de prendre des décisions adaptées. Ils doivent pour cela analyser la situation, avoir bien sur des connaissances, mais aussi une pratique antérieure. Ils doivent aussi être capables d’analyser leurs décisions pour adapter les futures. En langage pédagologue* j’ai dit que la compétence qui est la mise en œuvre de ressources internes et externes pour résoudre une situation se construit par la mise en situation authentique et la réflexivité.

*pédagologue est bien un barbarisme pour décrire une posture conceptuelle et théorique de la pédagogie

et toujours pour le fun

L’utilisation d’internet en pédagogie est logique, non par son existence, mais par ses apports. La question n’est pas tant de l’utilisation d’internet en pédagogie que de son intérêt en pédagogie.

Internet reste un outil avec des qualités mais aussi ses défauts, qui nécessite un apprentissage pour l’utiliser (maîtriser ?). Cette maîtrise n’est pas toujours effective. J’ai eu la surprise de constater que certains internes utilisent peu internet, et qu’ils éprouvent par conséquent beaucoup de difficultés à y trouver des informations, recherchant des simplifications dans des données déjà analysées. Wikipedia en est un exemple marquant. La consultation de la section médecine générale donne une définition pertinente de la discipline, par contre la partie référence mêle des documents réglementaires (arrêtés et décrets) des textes fondateurs (définition de la médecine générale WONCA) et des articles de journaux (Canard Enchaîné et Ca m’intéresse). De nombreux articles citent peu leurs sources. Au lieu d’être une ouverture vers d’autres données, l’outil de simplification nécessaire est devenu une finalité, comme si la connaissance ne pouvait s’acquérir qu’au travers le regard et l’analyse des autres. Bien sur il n’est pas possible de lire tous les articles princeps utiles à la pratique et moins encore de rechercher systématiquement aux sources des informations. Mais les synthèses, résumés et analyses doivent conduire à une analyse plus approfondie seule capable d’apporter des réponses utiles. Un exemple avec l’étude Jupiter et une première analyse, une deuxième, l'avis de la commission de transparence et une synthèse des données de l'étude

Initialement conçus par les grandes universités américaines pour détecter de possibles recrues estudiantines, les MOOC sont un fabuleux outil de dissémination de savoirs permettant au plus grand nombre d’acquérir des connaissances dans un domaine de leur choix. Ils permettent aux concepteurs de diffuser non seulement du contenu écrit mais aussi audio, photo et vidéo. Les MOOC trouvent leur place dans l’acquisition de savoirs théoriques. Ils sont un outil de formation professionnelle bien décrit par Grange Blanche et abordant de vastes thématiques . Ils pourraient être utilisés en substitution des cours présentiels, les forums permettant les réponses aux questions. Ils ont l’avantage de supprimer les contraintes horaires compliquant l’organisation des cours pour les enseignants et les étudiants. Ils permettent aussi de libérer des salles de cours tant convoités dans des facultés conçues pour moins d’étudiants. Leur conception reste néanmoins celle d’un cours, magistral ou interactif, sans différence avec un cours classique, seule la diffusion diffère.

La formation des internes implique une mise en situation. Actuellement elle est réalisée en stage principalement, mais aussi pour certaines situations techniques en simulation (par exemple le FCU sur mannequin). Le serious game est une alternative intéressante. Sa conception est toutefois difficile. Par ailleurs même si il peut être réalisé individuellement, je n’ai pas la notion qu’il ait été fait à distance. Mais n’hésitez pas à commenter cette affirmation intempestive.

Twitter permet de diffuser des informations à un grand nombre. Les facultés peuvent l’utiliser pour communiquer des horaires de formation, des dates de réunion, des modifications d’emploi du temps. Des comptes #dmg existent par exemple à Paris Descartes. Twitter permet aussi des échanges avec des médecins, mais aussi d’autres soignants ou des patients. Le nombre de caractères limité et l’ instantanéité des messages limitent néanmoins son utilisation. L’absence de langage non verbal peut conduire à perte de sens. Ecrire « tu es vraiment con tu sais » n’a pas le même sens selon qu’il soit dit dans ce contexte ou dans celui-ci. Bien sur les émoticônes peuvent illustrer le texte, mais sans la profondeur du non verbal. Des échanges existent sur twitter et sont riches par exemple sur #mededfr, mais ils permettent surtout d’amorcer une réflexion pas d’approfondir un questionnement. Twitter permet aussi de demander des informations aux autres par exemple sur #doctoctoc. Cette solution a peut être un intérêt, pour ma part je lui préfère la recherche personnelle plus à même d’apporter une réponse étayée. Je ne renonce pas pour autant aux échanges via twitter ou les forums, mais ils n’ont pas la qualité de ceux que je peux avoir lors de congrès, formation, ou simple rencontre. L’utilisation possible de Twitter est décrite ici .

. Les blogs diffusent des informations, des opinions, des réflexions. Ils amènent à poursuivre des recherches c’est le cas de perruche en automne, de médicalement geek. Ils génèrent une réflexion sur le quotidien des soignantsjaddo, péripéties d’une infirmière, ou celui des patients celinextenso, la crabahuteuse. Ils sont un outil de diffusion de savoirs et d’idées. Tous ne sont pas cités ici, découvrez les au hasard de vos surfs.

Les groupes d’échange de pratique 2.0 évoquées ici permettent d’analyser sa pratique avec d’autres médecins. Ils peuvent pallier à la difficulté d’organiser un échange physique avec d’autres médecins. Néanmoins du fait de l’éloignement des participants, ils ne permettent pas un échange pratique sur la prise en charge. La filière de soins diffère selon les régions, son abord est un temps intéressant du groupe d’échange, dans un format 2.0 elle est effleurée

Je ne perçois pas l’utilité Facebook et d’autres réseaux sociaux. Les réseaux professionnels sont probablement utiles dans le monde industriel et commercial. Pour la formation des internes je ne vois comment les utiliser. Ils pourraient éventuellement servir à élaborer un réseau de soignants, difficulté fréquente lors de l’installation. Quant à Facebook sa nature même me hérisse. Ma vie privée est justement PRIVEE et n’a pas vocation à être diffuser. L’illusion du contact par l’échange d’informations personnelles est une perversion de la relation. Les termes mêmes utilisés, comme le mur Facebook sont exemplaires de sa propension à l’isolement. Un mur n’a jamais facilité les contacts, il sépare mais ne réunit pas.

La définition de l’objectif précède la recherche de l’outil le plus adapté, inverser les priorités conduit à utiliser le web 2.0 non pour ce qu’il est ou apporte mais pour ce qu’il représente. Il deviendra alors un miroir aux alouettes sans utilité pédagogique. Il n’est pas dans mon propos de critiquer les initiatives innovantes développées, mais de tempérer l’enthousiasme qu’elles suscitent. Mais je suis peut être un vieux con pontifiant, déconnecté (en tout cas de Facebook) qui n’a pas compris tout le génie de cet outil.

Et pour ouvrir un débat, d'autres opinions ici

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Rédigé par Dr niide

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M
J'approuve vos écrits, venez rejoindre mon ministère, aimable disciple obéissant.
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